Certes, la beauté est dans l’œil de celui qui regarde, mais lorsque nous la voyons – qu’il s’agisse d’un coucher de soleil splendide, d’une montagne majestueuse, d’un bâtiment inspiré ou d’une personne –, nous savons la reconnaître. La beauté visuelle est tangible. Quant à notre vision, comment savoir si elle est esthétique ? Chez Interface, nous nous sommes beaucoup arrêtés sur cette question dernièrement, et plus particulièrement au sentiment de bien-être que peut procurer l’ésthétique dans des espaces éco-responsables. D’ailleurs, nous ne sommes pas sans savoir que les visionnaires du passé et du présent – du légendaire architecte R. Buckminster Fuller au brillant fondateur d’Apple, Steve Jobs, en passant par le PDG de l’International Living Future Institute, Jason McLennan, l’une des personnalités les plus influentes du mouvement des bâtiments verts – ont étudié la question, eux aussi, et qu’ils ont employé leurs théories à résoudre certains des problèmes les plus urgents du monde et à aboutir à une véritable transformation.
Cherchant à donner forme au concept de « vision esthétique », nous avons demandé à des maîtres à penser : « Que signifie une “vision esthétique” pour vous? ». Dans leurs réponses, quelques thèmes communs se dégageaient. Voici sept des plus intéressants :
Que signifie “beautiful thinking” ?
La nature est indissociable de l’esthétisme, et les humains en font partie
« Des études ont démontré que les humains ont un besoin et un amour innés de la nature, rapporte Jason McLennan, directeur général du International Living Future Institute et fondateur du défi Living Building, le programme de bâtiments écologiques le plus visionnaire et rigoureux au monde. Selon la recherche sur le sujet, il s’avère que la “biophilie” fait partie de notre code génétique, ajoute-t-il. Instinctivement, nous recherchons des environnements où la nature est présente, et nous réagissons négativement à ceux qui sont stériles, froids, sans lien avec la nature. »
Loin d’être incompatibles, la science et l’esthétisme sont intimement liées
« Peu importe le problème, Buckminster Fuller appliquait toujours une approche systémique, explique Elizabeth Thompson, directrice générale du Buckminster Fuller Institute. Pour lui, il n’y avait pas meilleure source de “vision esthétique” que les motifs de la nature et son usage efficace des matériaux. On le qualifiait parfois d’“utopiste radical”, lui qui s’appuyait sur les vérités fondamentales de la science et de la recherche pour dévoiler les secrets de la structure de l’univers et remonter à la source; on dit d’ailleurs que c’est là une porte vers le spirituel, ajoute-t-elle. Comme M. Fuller l’a déjà mentionné, “Quand j’essaie de régler un problème, je ne pense jamais à l’esthétique. Lorsque j’ai enfin trouvé une solution, je sais qu’elle n’est pas bonne si elle n’est pas esthétique.” » Bref, la beauté n’est pas l’objectif de « vision esthétique », mais elle en émerge invariablement.
La nature a tant de choses à nous apprendre sur la création d’un habitat humain de qualité.
« À l’instar de la nature, qui crée les conditions propices à la vie, fait valoir Lindsay James, experte certifiée en biomimétisme et vice-présidente, Entreprise restauratrice à Interface, les entreprises peuvent trouver des manières de créer des conditions propices à la vie, à la fois pour l’ensemble de l’écosystème et pour le bien-être des employés. Il peut s’agir de créer des espaces qui favorisent la santé et le bien-être. L’un des écueils que nous semblons rencontrer, c’est de définir la santé dans les bâtiments seulement par l’absence de produits chimiques potentiellement dangereux. Une telle perspective risque d’alimenter une peur des produits chimiques qui occultera les autres façons de rendre les bâtiments “favorables à la vie”. Or, des recherches de plus en plus solides sur le design biophilique montrent que les bâtiments bien pensés procurent certains des bienfaits physiologiques et psychologiques démontrés du plein air. À l’heure actuelle, ce type de bienfaits n’est pas pris en compte dans nos pratiques d’ingénierie de la valeur, explique-t-elle. Mais quand les entreprises observent la diminution des coûts liés aux soins de santé des employés qu’apporte le design biophilique, elles constatent son bien-fondé économique. »
Ce qui rend un espace stimulant, c’est la variété.
« Nous devrions chercher à créer des lieux qui nous conviennent et qui nous correspondent, des zones de perspective et de refuge qui nous comblent psychologiquement, estime M. McLennan. Un nombre grandissant de données probantes laisse croire que nous sommes aussi friands de la beauté sous des formes comme l’ordre, les proportions, les textures, les couleurs et la symétrie localisée. J’appelle cet instinct “pulchraphilie”. C’est une force puissante qui se manifeste dans le plaisir que nous ressentons devant la symétrie de la nature, comme la géométrie sacrée ou la configuration élégante du visage humain. »
Les environnements issus d’une approche globale inspirent la créativité et l’innovation.
Les espaces issus d’une « vision esthétique » peuvent avoir des répercussions sur les personnes et sur les systèmes dont ils font partie. « Interface est un fabricant de dalles de moquette qui imite la nature dans ses procédés et qui continue d’élaborer des stratégies d’économie circulaire restauratrice pour élever tous les secteurs vers de nouveaux sommets, fait valoir George Bandy, vice-président des comptes stratégiques chez Interface. Dans ce modèle, le succès environnemental et social compte autant que la rentabilité financière et est associé à un engagement cognitif globalement positif pour l’“enfant de demain”. Quand un espace permet de se connecter à la nature, de repousser ses limites professionnelles et d’augmenter sa productivité, il en émerge un esprit de succès environnemental, social et économique qui inspire. »
Ce que nous faisons à la planète, nous le faisons à nous-mêmes.
« La biophilie nous amène à faire preuve d’humilité et à respecter les quatre milliards d’années d’existence de la vie, estime l’environnementaliste canadien, David Suzuki. Nous sommes des animaux très futés, mais aujourd’hui, nos astucieuses inventions sont si puissantes qu’elles peuvent avoir des conséquences énormes, et nous n’en savons pas assez pour les prévoir. Quand le potentiel insecticide du DDT a été découvert, nous ignorions ce qu’était la bioamplification, jusqu’à ce que les aigles commencent à disparaître. Quand des bombes atomiques ont été larguées sur le Japon, nous ne connaissions pas les retombées radioactives. Quand les CFC ont été intégrés aux aérosols, personne n’était conscient de leur effet sur l’ozone. Encore et encore, nos brillantes créations ont des conséquences nuisibles imprévues. Avec le biomimétisme, on résout les problèmes en interrogeant la nature, et celle-ci a des milliards d’années d’expérience et une boîte à outils bien garnie. Et il y a fort à parier que ses solutions seront beaucoup moins nocives que les nôtres. »
Si nous ne pouvons pas surpasser la beauté de la nature, nous pouvons améliorer la qualité de nos vies en l’imitant.
« Adopter un design évoquant les motifs, les formes et les textures de la nature, ce n’est pas nécessairement copier ou utiliser ces caractéristiques telles quelles dans nos espaces. Nous pouvons imiter les stimuli sensoriels que nous recevons en plein air. Il peut simplement s’agir de revêtements de plancher qui présentent des variations de dureté et de texture, comme tout sol forestier, propose Mme James. Au cours des 200 000 dernières années, notre cerveau a évolué dans des milieux naturels, et pour concevoir des espaces qui font ressortir le meilleur de nous-mêmes, nous devons nous inspirer de la nature. »