La santé, et plus précisément tout ce qui touche de près ou de loin les effets potentiels des matériaux de construction sur la santé sont devenus une des préoccupations essentielles de l’industrie de la construction durable.
L’attention grandissante portée à la norme de construction WELL Building Standard et l’ajout d’une journée spéciale d’étude Matériaux et santé au salon Greenbuild sont tous deux symptomatiques de cette tendance. Malgré sa popularité croissante et l’arrivée d’une foule de nouveaux outils, le virage santé n’en reste qu’à ses balbutiements : avec les « listes rouges » simplistes de matériaux de construction à éviter, nous sommes encore loin des évaluations détaillées et transparentes des matériaux. De nombreuses firmes d’architecture et de design aimeraient évaluer l’incidence des matériaux sur la santé, mais elles ne disposent pas de l’expertise technique ni des processus nécessaires pour intégrer ces analyses à tous leurs projets, dont les budgets sont très souvent assez serrés.
Je suis souvent invité à donner des conférences sur ce sujet (notamment aux deux colloques Matériaux et santéde Greenbuild), et je m’attarde sur trois questions essentielles afin de déterminer si les produits des fabricants sont sains – les voici.
De quoi votre produit est-il fait?
Il s’agit de la question de base permettant de comprendre les effets potentiels sur la santé d’un matériau utilisé dans un bâtiment. De nombreux outils en cours de développement aident les fabricants à présenter les composants de leurs produits de façon uniforme. Toutefois, même la Déclaration sanitaire de produit (Health Product Declaration; HPD), au nom très peu évocateur, ne vous dit pas si un produit comporte des risques pour la santé, elle n’en présente que les composants. L’objectif pour bon nombre de ces outils, comme la HPD, est qu’ils s’imposent et deviennent aussi courants que le tableau de la valeur nutritive affiché sur les aliments emballés. Il ne faut toutefois pas oublier que la présence de la valeur nutritive des biscuits sur leur emballage ne fait pas d’eux un aliment bon pour la santé. Elle vous permet toutefois de faire des choix plus éclairés, et c’est là la vraie valeur de la transparence en matière de normalisation.
Que libère votre produit?
Il s’agit là d’une question importante car une bonne partie des composants des matériaux de construction auraient de sérieuses répercussions sur votre santé si vous les utilisiez au quotidien pour vous rincer la bouche. N’ayez crainte, la grande majorité de ces composants sont utilisés de telle sorte qu’il n’y a pratiquement aucune chance que les utilisateurs y soient exposés. C’est la grande différence entre les composants d’un matériau de construction et les nutriments d’un aliment : le consommateur sera nécessairement exposé à ces derniers (sinon pourquoi les présenter?).
La détermination des risques d’exposition aux composants des plastiques ou d’autres matériaux de construction repose sur des questions techniques propres au monde complexe de la toxicologie et de l’évaluation des risques. Je vous propose donc plutôt une méthode fondée sur le bon sens : axez vos analyses sur les matériaux qui 1) libèrent des composés organiques volatils (COV) ou qui 2) subiront une usure ou une abrasion considérable lors de l’utilisation.
COVs
Les COV sont naturellement libérés par différents produits, une certaine exposition est donc inévitable. Tout ce qui dégage une odeur libère des COV, certains sont inoffensifs et même agréables (comme ceux de l’arôme du pain frais), mais d’autres peuvent être nocifs, voire cancérigènes (comme le formaldéhyde). Heureusement, grâce aux normes de construction écologique et, aux États-Unis, au service de santé publique de la Californie, nous disposons maintenant des méthodes d’essai normalisées pour les principaux COV nuisibles libérés par les produits d’intérieur. Bien des programmes de certification de l’industrie (p. ex., Green Label Plus pour les tapis et FloorScore pour les revêtements de plancher rigides) se conforment aux rigoureuses exigences de la Californie (norme CA 01350); la recherche de produits à faible dégagement gazeux consiste bien souvent simplement à trouver la bonne certification.
La deuxième catégorie de matériaux à examiner, ceux soumis à un contact élevé, est plus complexe puisque l’exposition a lieu seulement au fil du temps et dans certaines conditions, notamment un nettoyage fréquent ou une abrasion des surfaces qui entraînent la migration des composants chimiques, du produit vers la poussière. Le cas dont nous avons le plus entendu parler récemment est celui des produits ignifuges hautement toxiques et résistants, libérés petit à petit par les meubles et les appareils électroniques. Bien que certains composés chimiques nocifs se décomposent rapidement une fois expulsés d’un produit – ce sont habituellement des microorganismes qui effectuent ce travail –, d’autres sont très résistants et s’accumulent dans l’environnement avec le temps (aucune bestiole ne semble avoir développé une affection pour les produits ignifuges à base de polybromodiphényléthers).
Pour les tapis, ce sont les fibres de surface, habituellement en nylon, qui subissent le plus de contact. Elles sont souvent recouvertes d’un agent chimique résistant aux taches et à la saleté fait à base de composés perfluorés. En raison de leur rémanence dans l’environnement et de la toxicité de certains d’entre eux, les composés perfluorés ont récemment été ajoutés à la liste rouge du défi Living Building Challenge. C’est donc en partie pourquoi de plus en plus de fabricants de fils haut de gamme pour tapis optent pour du nylon entièrement résistant aux taches, auquel aucun revêtement, qui pourrait s’user au fil de temps, n’est appliqué. Fait intéressant, en 2011, Environmental Building News a décerné un prix à Interface pour avoir fabriqué les premières dalles de moquette exemptes de composés perfluorés; d’ailleurs, tous les produits d’Interface en sont exempts.
Comment votre produit est-il fabriqué?
Les répercussions d’un produit sur la santé des utilisateurs finaux ne sont qu’une petite partie des éléments servant à déterminer si un produit est sain. Bon nombre des pires effets sur la santé dans le cycle de vie d’un produit se font sentir bien avant l’arrivée des produits dans les écoles et les bureaux. L’exposition a lieu dans des environnements beaucoup moins paisibles, d’où les matières premières servant à fabriquer nos produits sont extraites. Pensons aux mines, aux sites d’opérations de forage pétrolières et gazières, aux raffineries de produits chimiques ou aux usines de fabrication du plastique. Par exemple, les articles en plastique sont généralement faits à base de produits chimiques dérivés du pétrole, de gaz, du charbon ou d’autres charges minérales. La pollution de l’air et de l’eau due au raffinage et à l’extraction des ressources est considérée comme un impact environnemental, mais pour les gens qui vivent et travaillent près de ces zones polluées, il s’agit d’un risque pour leur santé. Peut-on dire d’un produit ne se trouvant pas sur la liste rouge qu’il est sain si ses composants proviennent de gaz naturel obtenu par une fracturation hydraulique qui a contaminé les réserves d’eau locales avec des métaux lourds et des produits pétrochimiques?
Chez Interface, nous croyons qu’augmenter le pourcentage de matières recyclées dans les produits et le recyclage en fin de vie est la seule solution viable pour résoudre les nombreux problèmes systémiques de pollution associés au cycle de vie des produits faits à base de pétrole, de gaz et de minéraux. En offrant des produits contenant 80 % de matières recyclées, nous savons que nous participons à la lutte contre les effets négatifs des activités industrielles sur les populations environnantes.
En offrant des produits contenant 80 % de matières recyclées, comme ceux de notre collection Net EffectMC, nous savons que nous participons à la lutte contre les effets négatifs des activités industrielles sur les populations environnantes.
Ne pas se laisser gagner par la peur
La plupart des discussions sur les bâtiments sains abondent dans le même sens : nous visons l’élimination des effets négatifs des matériaux de construction sur notre santé. Toutefois, il ne faudrait surtout pas que les produits chimiques toxiques dans le monde deviennent une source chronique d’anxiété, car ce serait tout aussi nocif pour notre bien-être. Chacun d’entre nous doit plutôt trouver un juste milieu, c’est-à-dire déterminer le degré d’inquiétude qui le motivera à changer notre système industriel sans laisser une peur excessive le gagner.
À mon avis, il est bénéfique de passer autant de temps sur les éléments nocifs que sur les bienfaits pour la santé, par exemple en faisant des recherches sur les façons dont les produits d’intérieur peuvent être conçus pour favoriser le bien-être et la productivité et diminuer le stress des occupants d’un bâtiment. Lorsque vous sentirez poindre un découragement à cause des produits chimiques toxiques qui nous entourent, jetez un œil au nouveau rapport de Terrapin Bright Green’s report 14 principes du design biophilique, on y traite de l’importance du design pour la qualité de vie au travail. Après tout, la création de produits éliminant l’exposition aux produits chimiques toxiques n’est que la première étape du travail passionnant qu’est la conception d’espaces menant à une meilleure santé et un plus grand bonheur.